Finies les belles épopées dans un
monde branché-filmé-vidéosurveillé où tout le monde est bien à
sa place, ne doit pas outrepasser son rôle et sa classe. L'héroïsme
est réservé aux pompiers New-Yorkais, à la brigade des mœurs, aux
policiers zélés, aux traqueurs de terroristes, aux héros
construits par les médias et la société sécuritaire dans laquelle
nous vivons.
Fini les héros lyriques et idéalistes,
trop romanesques, on les enferme dans des bouquins pour sustenter la
soif chimériques des ados et des jeunes pas encore avalés par une
société matérialiste et prétendument pragmatique.
Finis les Che Guevara, Louise Michel,
Lucie Aubrac ou Jean Jaurès. Les héros idéalistes, on les
panthéonise, pour mieux les digérer, on en fait des personnages
historiques obsolètes, reliques d'une histoire bien éloignée de
nos préoccupations contemporaines.
Mais putain ! On peut bien tenter d'éradiquer l'héroïsme, vouloir le faire disparaître, il resurgira toujours dans des terreaux propices à son expression que sont justement les sociétés en crise identitaire, économique, sécuritaire, sociale...

Le héros possède une pensée
subversive, diamétralement opposée à l'ordre établi, qui peut
d'ailleurs être partagée par beaucoup de ses concitoyens. Mais ce
qui le distingue de ces derniers, c'est que le héros passe à
l'action ! Il met en œuvre ses idéaux à travers les moyens d'agir
dont il dispose. Ce qui en fait un héros, c'est d'abord, que la
plupart du temps, ses moyens d'action sont extrêmement vertueux ;
ensuite et surtout, le héros prend des risques incommensurables forçant respect et admiration. Car bien souvent, ce qui en fait un
héros, c'est qu'il est prêt à sacrifier sa vie, sa carrière, sa tranquillité, son anonymat, pour son idéal !
L'héroïsme est alors un sacrifice. En
cela, on peut aisément dire que l'héroïsme est stupide et vain : à
quoi bon sacrifier sa vie sur l'autel de l'absurdité de nos sociétés
?
C'est vrai bon dieu, à ce que nous
savons, nous n'avons qu'une vie, alors pourquoi risquer de la perdre
ou la gâcher pour une cause farfelue ?
L'acte héroïque n'a justement RIEN
de farfelu, il est plein de sens, parce qu'il donne du sens là
ou il n'y en a pas (ou plus !). Il dénonce le cynisme, la barbarie,
la tyrannie, l'immoralité en faisant sursauter d'orgueil et d'espoir
l'humanité grâce à un chant épique et visionnaire.
L'héroïsme sème le virus de
l'espérance. C'est un sacrifice émancipateur. Et, s'il s'agit d'un
sacrifice matériel, c'est exactement le contraire au plan moral :
c'est une sauvegarde de l'humanité ! L'acte héroïque est forcément
vertueux, par définition. L'acte devient héroïque dès lors qu'il
défend les valeurs communes au plus grand nombre, la notion
d'humanisme !
Aujourd'hui, beaucoup
d'entre nous ont des intentions héroïques, mais ne passent pas à
l'action.
Nous sommes régulièrement,
dans nos vies, notre entourage, confrontés à l'injustice. Nous
ressentons cela, nous en souffrons par empathie. Nous nous sentons
impuissants, incapables d'agir. Car nous connaissons les conséquences
néfastes sur notre vie qu'impliquerait une action souvent illégale.
Mais l'illégalité n'est pas l'illégitimité !
Par exemple, je discutais avec un
membre de ma famille dernièrement. Il est cadre dans une société
du bâtiment, il bosse dans les Travaux Publics (TP). Il participe donc aux réunions de
chantiers et se retrouve face à des patrons de grandes sociétés du
BTP, vous savez, de ces entreprises à croissance trop rapide pour
être honnêtes qui obtiennent des chantiers à coups de pots de vin
et qui s'enrichissent rapidement tout en faisant beaucoup de
malfaçons. Bref, il voit ce leader d'une entreprise de pose de
carrelage très connue arriver avec un 4x4 rutilant dernier cri, Raybans sur la tronche, barreau de chaise fumant entre les dents. La
réunion se passe. Puis surgit inopinément un contrôle du travail
et de la sécurité sur les chantiers. Tous les ouvriers se font
contrôler, certains d'entre eux s'enfuient. Puis se font vite
rattraper par la police. Là, des ouvriers Roumains ou Polonais,
travaillant 12h par jour, parfois de nuit ou en week-end, repartent,
menottés. Ils travaillaient en sous-traitance pour la boite de
carrelage, mais dans l'illégalité, non déclarés, sans-papiers ?
Le patron de ladite boite, présent, est donc rapidement interrogé
par les cognes. Celui-ci, avec une incroyable hypocrisie, cynique,
rétorque avec calme qu'il ne gère pas ses sous-traitants, qu'il
n'est responsable de rien. Parce-que, ceux qui sont repartis avec les
menottes, c'est toujours les mêmes, ceux qui triment, qui souffrent,
qui sont rejetés par la société, par les travailleurs français,
par les lois. Ce jour là, celui qui aurait du chausser les
bracelets, il est reparti, insouciant, affranchi par les lois et la
tyrannie économique dans laquelle nous vivons, sans aucuns scrupules
et qui recommencera certainement son manège pour d'avantage
s'enrichir en exploitant des travailleurs étrangers.
Le membre de ma famille, excédé par
une situation injuste, absurde, me dit qu'il n'avait qu'une envie,
c'était de lui rentrer dans la tronche, le dénoncer et dévoiler
ses méthodes. Mais il n'a pas eu l'audace de le faire, certainement
par peur des conséquences que cela implique pour lui : se faire
remarquer, perdre son travail, aller en justice...
Je ne le juge pas, nous ne pouvons
juger une situation que nous n'avons pas vécue. Il s'agit seulement
d'illustrer mon propos, nous sommes souvent à deux doigts de
l'héroïsme, ou de la désobéissance légitime, mais nous avons
peur de franchir la ligne rouge, de déborder le cadre. Mais n'aurions nous pas énormément
à gagner à se couvrir de vertu et de courage ?
Nous sommes nombreux à
nous sentir impuissants face à l'iniquité et l'injustice du monde,
incapables d'agir face à une machine globale autonome ou même les États n'ont plus le pouvoir suffisant pour l'infléchir.
Mais nous avons finalement
tant d'occasions, dans notre quotidien, en désobéissant, en faisant
acte d'héroïsme, de renverser la vapeur à notre échelle. Fi des
conséquences matérielles et du prix à payer, la conséquence
morale n'a pas de prix, nous serons en paix avec notre conscience et
nous laisserons une trace supplémentaire dans le long cheminement
vers la justice et l'émancipation.
Dans l'absurdité de
nos vies, au fond, de quoi serons-nous le plus fier, lorsque nous
ferons le bilan au crépuscule de nos vies ?
Avoir fermé les yeux, et continué
notre chemin, banal, comme nous l'indiquent les matrices de la
société.

Chacun fait son choix ! Et ce texte est
bien sûr une invitation à la désobéissance et à l'héroïsme.
Parce que d'actes isolés un peu frénétiques (je n'utiliserai pas
l'adjectif “inconscients”, pas du tout approprié ici !), on peut
passer à une multitude d'actes héroïques éclatant ici et là,
revendiquant la même chose, se liant entre eux, en réseau, et
établissant progressivement une forme de résistance active pour
reprendre prise, reprendre pied, reprendre le contrôle de nos vies !
Plus nous serons nombreux et moins
l'acte sera héroïque, certes, mais il sera beaucoup plus simple de
désobéir et de se révolter contre l'injustice !
Les cas Snowden et Manning.
Pour exemple, nous avons connu dans
l'actualité ces dernières semaines, deux formidables cas d'héroïsme
ordinaire forçant le respect et l'admiration.
Tout d'abord, Edward Snowden, un
informaticien américain, ancien employé de la CIA et de la NSA qui
a révélé les détails de plusieurs programmes de surveillance de
masse américains et britanniques.

« Je n'ai pas
l'intention de me cacher, parce que je sais que je n'ai rien fait de
mal ».
Justifiant ces
révélations, il indique que
« [son] seul objectif est
de dire au public ce qui est fait en son nom et ce qui est fait
contre [lui] ».
À la suite de ses révélations,
Edward Snowden est inculpé le 22 juin 2013 par le gouvernement
américain sous les chefs d’accusation d'espionnage, vol et
utilisation illégale de biens gouvernementaux.
Quand Snowden quitte les
États-Unis en mai 2013, après la perte d'un emploi qui lui assurait
un mode de vie privilégié, il explique :
« Je suis prêt à sacrifier tout cela parce
que je ne peux, en mon âme et conscience, laisser le gouvernement
américain détruire la vie privée, la liberté d'Internet et les
libertés essentielles des gens du monde entier avec ce système
énorme de surveillance qu'il est en train de bâtir secrètement ».
Snowden choisit donc l'exil plutôt que
les procès et la prison. Il choisit de laisser derrière lui sa vie,
sa famille, son pays... Comme il a choisi de révéler ce qu'il
savait, de devenir un héros, comprenant les risques qu'il encourait,
il a agi !
Autre cas, celui de Bradley Edward
Manning analyste militaire de l'armée américaine. Après avoir
transmis à WikiLeaks différents documents militaires classifiés,
il a été condamné le 21 août 2013 à trente-cinq ans de prison :
un autre héros ordinaire !
En
avril 2010, WikiLeaks donne à voir une vidéo du raid aérien du 12juillet 2007 à Bagdad titrée Collateral Murder ; le 7 juillet, les
autorités américaines désignent Bradley Manning comme
l'informateur de WikiLeaks
Arrêté en juin 2010 Manning a d'abord
été détenu plus d'un mois dans une prison militaire de Camp
Arifjan, au Koweït, sans aucune charges. Puis il est inculpé de
huit chefs d'inculpation criminels et de quatre violations du
règlement militaire. Il est détenu sur la base de Quantico, en
Virginie depuis le 29 juillet 2010. En avril 2011, un groupe
d'experts détermine qu'il est en état d'être jugé, et le 16
décembre 2011, une audience préliminaire recommande de le faire
comparaître devant une Cour Martiale. Manning est inculpé le 23
février 2012 en Cour Martiale et choisit de ne pas contester les
chefs d'accusation : il assume ses actes héroïques;
Deux accusations sont portées contre lui : « transfert de
données secrètes sur son ordinateur personnel et ajout de logiciel
non autorisé sur un système informatique confidentiel », ainsi
que « communication, transmission et envoi d'information traitant
de sécurité nationale à une source non autorisée »
Bradley Manning est soumis à un
isolement carcéral maximum dans des conditions qui prêtent à
controverse, tandis que certains rappellent que l'isolement dans
lequel Manning se trouve est comparable à une situation de torture
psychologique.
Hilary Clinton accepte en mars 2011 la
démission d'un de ses porte-paroles au département d'État
américain, Philip J. Crowley, suite aux propos « pleinement
revendiqués » par ce dernier et qu'un journaliste de la BBC a
rapportés, dans lesquels le traitement que le Pentagone réserve
à Bradley Manning est qualifié de « ridicule, improductif, et
stupide » (un autre héros ordinaire désobéissant et assumant
ses idées avant sa fonction).

Le 21 août 2013, il est condamné à 35 ans de réclusion. Il
sera incarcéré à la prison militaire de Fort Leavenworth.
Le soldat Manning a été proposé par son cercle de soutiens
comme le prochain prix Nobel de la paix. Selon eux, ce choix est
largement justifié car
Manning, par ses révélations, aurait fortement
participé au retrait des troupes américaines en Irak. Sans lui, de
nombreuses polémiques n'auraient pu être révélées comme le scandale de
la Prison d'Abou Ghraib ou encore sur les programmes d’attaques des
drones.
Des manifestations de soutien à Bradley Manning ont eu lieu en
Allemagne, en Irlande, aux Pays-Bas, au Canada, en Australie et aux
États-Unis (à Washington, à San Diego, à Cambridge/Boston, à
Oakland...).
En France, le 3 février 2013, le
premier prix au concours international de plaidoiries pour les droits
de l'Homme organisé par la Ville de Caen (chez nous!) et le Mémorial
de Caen est remporté par un jeune avocat lillois pour sa plaidoirie
« Bradley Manning : un soldat de la vérité ».
Ces deux jeunes hommes, Snowden et
Manning, sont les archétypes de l'héroïsme contemporain. Leurs
morales, leurs consciences sont passées avant leur intégrité, leur
sécurité, leurs carrières, leurs vies de famille... Ils sont héros
car ils ont renié tout confort de vie en faveur d'une grande
noblesse d'esprit et un dévouement quasi-sacrificiel aux principes
qu'ils incarnent. Ils ont eu, à un moment précis, le courage de
franchir la ligne rouge, et, malgré les conséquences, ils ne
semblent pas le regretter...
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@JournalRacaille ça aurait été cool de parler de Manning au féminin. ELLE a fait son coming out trans, et souhaite être genrée comme femme.
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